Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
Soutenez le Secours populaire
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)
 aloons 

Version  XML 
Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?



2 - Où il est remarqué que le désordre des commencements ne diffère du désordre des échecs que par les registres de connotations employés par l'observateur.

Le désordre des commencements diffère du désordre des échecs au moins dans la façon dont le discours les traite. Ecoutons d'abord H. Wallon parlant de l'émergence et de la stagnation des conduites cognitives :

Texte A : "Chez l'enfant dont l'activité commence par être élémentaire, discontinue, sporadique, dont la conduite n'a pas d'objectifs à long terme, à qui manque le pouvoir de différer ses réactions et d'échapper ainsi aux influences du moment présent, le mouvement est tout ce qui peut témoigner de la vie psychique et il la traduit tout entière, du moins jusqqu'au moment où survient la parole ". (Enfance, 1959, 251)

Texte B : "La déficience intellectuelle se traduit par la pauvreté du langage, pauvreté du vocabulaire et de la syntaxe autant que du contenu. La succession des idées ou des actes est purement occasionnelle ou formelle. Pas de thèmes à développement tant soit peu continu. Une simple insistance litanique sous l'influence du besoin ou du désir actuels". (ibid. 251)

Considérons les thèmes principaux : 1) la discontinuité. Chez l'enfant normal l'activité est discontinue. Dans le type "cortico-associatif frontal", cette activité n'est pas "tant soit peu" continue. 2) l'absence de visée. L'enfant manque du "pouvoir de différer ses réactions". Chez l'insuffisant psycho-moteur, "la succession des idées ou des actes est purement occasionnelle". 3) le rapport au langage. Ici, la parole survient pour mettre fin au chaos de la vie psychique. Là, le soubassement linguistique est pauvre, pauvre... et la parole, simple litanie.

Il est clair que la différence se joue au plan des connotations. Entre le chaos psycho-moteur qui va cesser et celui qui correspond à une déficience nous constatons une similitude de fait. Mais combien le style de Wallon, si riche en nuances délicates, nous informe sur ses propres résonnances de chercheur face aux deux types de désordre, par un jeu précis d'attributs et de rythmes. Une phrase balancée, continue, harmonieuse comme une genèse naturelle quand il s'agit de l'enfant ; un style haché, répétitif, quasi "télégraphique" lorsqu'il parle, sans verbes, du débile.

Le "bruit" des commencements connote un ordre latent transformable en ordre manifeste : cela demande un laps de temps, une maturation, et, de la part de l'observateur, une écoute confiante et attentive des progrès qui ne vont pas tarder à déboucher sur un code culturel compréhensible : jeu de l'attente d'un fait hautement probable, avant-plaisir de la correspondance, joie préparée. Educateur des commencements, prépare tes joies dans le champ immense d'un logos inépuisable où ici, là, partout, une forme va surgir du désordre.

"Un jour Pantagruel, se pourmenant hors de la ville rencontra un homme beau de stature et élégant en tous linéamens mais pitoyablement navré en divers lieux et tant mal en ordre qu'il sembloit estre eschappé aux chiens. "Qui estes vous ?" Junker, Gott geh euch Gluck und Heil zuvor..." "Mon amy, je n'entends point ce barragoin ; pourtant si voulez qu'on vous entende, parlez autre langaige" "Al barildim gotfano dech min brin alabo dordin falbroth ringam albaras ..." "... de nous nul n'entend note" "Signor mio, s'elle non a ilventre piéno..." 'Autant de l'un comme de l'autre" "Lord, if you be so vertuous of intelligence ..." "Encore moins" "Jona andie guaussa goussy etan beharda er remedio behard versela ysser landa ..." "Vous êtes d'Ecosse ou j'ay failly à entendre" "Preung frest frinst sorgmand strochdt drnds pag brlelan ..." " Parles-vous christian, mon may, ou langaige patelinois ? Non, c'est langaige lanternois " "Heere, ik en spreeke anders geen taale..." "Autant de cestuy-là" "Segnor, de tanto hablar yo soy cansado ..." "Dea, mon may, je ne fais doubte aucun que ne sachez bien parler divers langaiges ; mais dictes-nous ce que vous voudrez en quelque langue que nous puissions entendre ..." "Min Herre, endog ieg med inge tunge talede ..." "Je crois que les Goths parlaient aisni. Et si Dieu vouloit ainsi parlerions nous du cul" "Adono, scholom lecha : im ischar harob hal habdeca ..." "A ceste heure ay je bien entendu : car c'est la langue hébraïque bien réthoriquement prononcée " "Despota tinym panagathe, diati sy mi ouk artodotis ? ..." "Quoi ? c'est grec, je l'ai entendu. Et comment ? As-tu demeuré en Grèce " "Agonou dont oussys von denaguez algarou..." "J'entends, ce me semble, dist Pantagruel, car ou c'est langaige de mon pays de Utopie ou bien lui ressemble quant au son " "Jamboties vos, per sacra, perque déos desque omne, obstestatus sum ..." "Dea, mon amy, dist Pantagruel, ne scavez vous parler françois ? " "Si fait très bien, seigneur, respondit le compaignon..."

Commencements d'une relation interpersonnelle ou : "Comment Pantagruel trouva Panurge, lequel aima toute sa vie " (II, IX). Du barragoin où nul n'y entend note, où tout est homogène (chaque son entendu en vaut un autre) au langage del'échange et de l'information (le françois) en passant par deux degrés de compréhension progressive. Le premier, analogique, établit des liens entre les éléments (phonèmes) qui rappellent à l'auditeur la structure d'une langue articulée : mais comme aucune règle de syntaxe n'est identifiable, le sujet-récepteur reçoit globalement le langage de l'autre comme un objet ambigu (c'est ce n'est pas un langage, en même temps) générateur de plaisanteries et de rires : langue "flon-flon", susceptible d'être parlée de cul. Le deuxième, homologique, fixe les connexions qui renvoient à des formes linguistiques connues : correspondance structurale, morphologie, phonologie "sans prise directe sur les mots, mais seulement sur les mots préalablement dissociés en phonèmes" (C. Levi-Strauss, 1974, 44) :langue "musique" susceptible d'être entendue - trois fois - et reconnue (l'hébraïque, le grec et l'utopique).

Bruit, flon-flon, musique et, enfin, parole : la montée du signifié sous l'arbitraire du signifiant : l'ordre chaotique des commencements est un ordre évolutif "pour soi" et non "en soi" ; lié au savoir du récepteur : que Pantagruel suive les conseils de son père (cf. II, VIII) et les mélodies hébraïques, grecques et latine deviendront récit pour lui. Il n'en va pas de même pour le 'bruit" de l'échec. Au chapitre XVIII du Quart-Livre, Panurge et ses amis "montés sur mer pour visiter l'oracle de la dive Bacbuc", essuient soudainement une forte tempête. Panurge y perd son latin, son françois, son courage et ses possibilités multiples de communication avec autrui. "Bebebe bous, bous, bous. Voyez à l'aiguille de votre boussole, de grâce, maître Astrophile, dont nous vient ce fortunal ? Par ma foi, j'ai belle peur. Bou, bou, bou bous. C'est faict de moi. Je me conchie de male raige de peur. Bou, bou, bou, bou ! Otto to to to to ti ! Bou bou bou, ou ou ou bou bou bou bous bous ! Je naye, je naye, je naye, je meurs "(XVIII) "Bous, bous, bous, paisch, hu, hu, hu, ha, ha, ha, ha, je naye. Zalas, zalas, hu, hu, hu, , hu, hu, hu, hu, Bebe bous, bous, bobous, ho, ho, ho, ho, ho. Zalas, zalas. "(XIX)

Nous sommes loin du jeu savant des signes : les phonèmes, itératifs, n'expriment plus que le désordre de l'émotion. Une simple insistance litanique, pauvreté du langage, pauvreté du vocabulaire et de la syntaxe autant que du contenu ... Nous voici revenus à Wallon mais nous le l'avions que très peu quitté : l'échec de la relation inter-personnelle est aussi échec des conduites cognitives.

La démonstration recommence, hors du sujet cette fois. Le groupe social primitif se rassemble sur le seul fait de consanguinité et le commerce sexuel est sans entraves. Wagner est horrifié : "A-t-on jamais ouï que le frère embrassât la soeur comme son épousée ?" Bachofen désigne cet état primitif par le terme d'hétaïrisme (F.Engels, 1976, 40). Westermarck : "Le manque de règles implique l'étouffement des inclinations individuelles ... la prostitution en est la forme la plus authentique "(ibid. 45)

Engels : "Ce mariage par groupe, vu de près, ne semble pas aussi abominable que se le représente l'imagination des philistins, habituée à ce qui se passe dans les lupanars "(ibid. 53). "Dans ces derniers temps, la mode s'est établie de nier ce stade initial de la vie sexuelle humaine. On veut épargner cette "honte" à l'humanité" (ibid. 40) "Il me semble plutôt qu'il demeure impossible de comprendre les conditions primitives tant qu'on les regarde avec l'optique du lupanar" (ibid. 45). "Tout le développement ultérieur de la famille ... suppose cette forme comme stade préalable nécessaire" (ibid 46). Selon que le désordre primitif est décrit comme commencement historique de l'institution familiale, ou comme échec à la morale philistine, les connotations qui lui sont attachées sont positives ou négatives.

"Si le premier progrès de l'organisation consista à exclure les parents et les enfants du commerce sexuel entre eux, le second progrès fut l'exclusion des frères et des soeurs. Etant donné la pus grande égalité d'âge des intéressés, ce progrès était infiniment plus important, mais aussi plus difficile, que le premier ... Et quel prodigieux effet résultat de ce progrès ..." (ibid. 47)

Le Réel des origines est pré-rationnel : que le Logos fourbisse de nouvelles armes et ce que l'on nomme aujourd'hui désordre apparaîtra bientôt comme déterminé. C'est affaire d'instuments : pensée nouvelle, nouveau langage, nouvel esprit scientifique, etc... En attendant, faisons l'hypothèse d'un ordre potentiel qui se découvre - que nous découvrons - lorsqu'il franchit le seuil de nos capacités de systématisation logique. En attendant, dans le sub-liminaire, nous avons recours à un mode de connaissance indirecte : l'allégorie. Allégorie des origines de la pensée individuelle et de l'oganisation socio-politique, comme nous allons voir. Le Réel des échecs est celui de l'indicible radical : pas d'évolution probable dans la connaissance de sa complexion intime. Il se donne d'emblée en chaos disparate ou en bloc réfractaire. "Soubdain la mer commença d'enfler..." L'issue, le dégagement se présentent en rupture, tout aussi soudainement : "Terre, terre, s'écria Pantagruel" (XXII). Absence de franges transitoires. Catastrophes : lieux où s'exerce la fonction symbolique, qui oppose la vie à la mort, le bon sens à la folie, l'adhésion aux mythes de la Cité, à l'aliénation et à la désadaptation. (G. Durand, 1976, 127). "L'allégorie est une traduction concrète (N.S.) d'une idée difficile à saisir ou à exprimer simplement" (ibid. 10). Wallon : "Le mouvement est tout ce qui peut témoigner de la vie psychique et il la traduit toute entière " (N.S.) Le désordre perceptible de la motricité signifie le désordre invisible de la pensée. Postulat de l'homologie structurale de l'acte et de la pensée ; traduction terme à terme par les canaux de deux invariances formelles : celle d'une modalité spatiale (la dispersion des gestes correspond à une dispersion de la vie psychique) et celle d'une modalité temporelle (sporadicité). Allégorie : privilège accordé à un modèle concret, visible, considéré comme porteur de la même structure que le modèle non-sensible : "symbolisme concret ... tel que tous les éléments du symbolisant correspondent systématiquement chacun à chacun aux éléments du symbolisé" (A. Lalande, 1968, 37). Vérification rapide : Rabelais pose le modèle disons "polyglotte" comme allégorie de la rencontre affective entre deux êtres. Il s'agit, en fait, d'une variation concrète intelligible - parmi d'autres possibles - sur le thème du "faire connaissance" lequel traduit en termes de cognition un procès affectif insaisissable qui s'inscrit, en ses débuts, au coeur même de l'aléatoire, dans le hasard des circonstances : "Un jour Pantagruel, se pourmenant hors de la ville ..." Engels, après Morgan, caractérise le désordre de la famille primitive par l'expression "sans règles" : "Sans règles", "puisque les restrictions imposées plus tard par la coutume n'existaient pas encore (P. Engles, 1976, 44-45) C'est une manière, pour lui de marquer en creux un avenir réglé : le désordre est absence de ce qui définit l'ordre. Discours sur l'absence pour éveiller l'idée de la présence. "Le symbole est, comme l'allégorie, reconduction du sensible, mais en plus il est, par la nature même du signifié, inaccessible, épiphanie, apparition, par et dans le signifiant, de l'indicible" (G. Durand, 1976, 11-12). Wallon : "La déficience intellectuelle se traduit par la pauvreté du langage, pauvreté du vocabulaire..." Le terme signifiant pauvreté renvoie "en compréhension", à une multiplicité d'évocations subjectives : constat (absence de), pitié (misère, dénuement), mépris (sottise), désapprobation voire rejet ; "en extension", le terme ici est de linguistique mais de rapides associations nous conduisent à l'économie vulgaire (la pauvreté et la richesse), à la religion (renonciation volontaire aux biens temporels), à la morale (le mal et le bien). "Tandis que la simple allégorie traduit un signifié fini par un signifiant non moins délimité, les deux termes du Sumbolon eux, sont infiniment ouverts. Le terme signifiant, le seul concrètement connu, renvoie ... à toutes sortes de "qualités" non-figurables et cela jusqu'à l'antinomie. C'est ainsi que le signe symbolique ... agglutine des sens divergents et antinomiques" (ibid. 14). Parallèlement, le terme signifié, "concevable dans le meilleur des cas mais non représentable" - pour nous, le désordre de l'échec - peut être symbolisé par des termes variables : Wallon signifie la déficience intellectuelle par la "succession purement occasionnelle par l'absence de développement "tant soit peu continu", par l'"insistance litanique", termes pour lesquels il est aisé de retrouver un large éventail de connotations, celui déjà décelé dans la notion de "pauvreté" - connotations qui s'infiltrent ici par des adjonctions inutiles à la description strictement scientifique des faits observés (ex : on peut faire disparaître de la phrase les mots "purement", "tant soit peu" et "litanique" sans en changer le sens) ; adjonctions qui marquent bien les failles par lesquelles peuvent s'engouffrer les attitudes subjectives du lecteur. Redondance du signifiant qui s'efforce vainement de saisir l'insaisissable par un "travail" stylistique sur les résonnances affectives, par le jet d'un filet à larges mailles sur toutes les ressources de l'imaginaire personnel. Rets ou réseau multidirectionnel par lequel le lecteur est renvoyé à ses problématiques personnelles de la pauvreté, de la richesse, de la pureté et du trouble, de l'attente déçue, de la répétition obsessionnelle, et ainsi de suite. Utilisez votre propre boussole pour chercher votre propre direction au beau milieu du nuage non-rationnel. "Bebete, bous, bous, bous. Voyez à l'aiguille de votre boussole de grâce". Débâcle du signe dont le signifié, ordinairement limité, s'ouvre soudain sur l'infini, et par là-même devient symbole. Le mécanisme catastrophique - celui qui fait basculer soudain l'ordre du signe dans le désordre marqué par le recours au symbole trouve son modèle éminent - son archétype - dans les mythes de fin du monde. "Dans les mythologies de toutes les tribus guaranis survivant encore au Brésil, il existe la tradition qu'un incendie ou un déluge a complètement détruit une terre antérieure" (M. Eliade, 1978, 192). "Il y a eu souvent et il y aura encore souvent des destructions d'hommes causées de diverses manières, les plus grandes par le feu et par l'eau (Platon, 1969, 405). Quelle qu'en soit la cause - fatigue cosmique (M. Eliade, 1978, 194), péchés de l'humanité (judaïsme, christianisme) - le cataclysme est toujours conçu comme une perte de repères - brulés ou recouverts par la montée des eaux. "Dès que la crue transgresse toute échelle comptée au-dessus de l'étiage, le paysage disparaît, tout le relief s'efface, les différences s'évanouissent, les singularités sont gommées par la montée des eaux. Et tout référentiel est perdu " (M. Serres, 1975, 356). Ce qui existait, dans un certain ordre historico-géographique, se dissout dans le nivellement homogène : "Plus de voies, plus de rives, plus de directions ; une substance plane qui ne va nulle part, et qui suspend ainsi le devenir de l'homme, le détache d'une raison, d'une ustensilité des lieux" (R. Barthes, 1970, 61-62). Mais aussi disparaît l'ordre culturel antérieur : "A peine êtes-vous pourvus de l'écriture que de nouveau, après l'intervalle de temps ordinaire, des torrents d'eau du ciel fondent sur vous comme une maladie et ne laissent survivre que les illettrés et les ignorants ... ne sachant rien de ce qui s'est passé dans les temps anciens " (Platon, 1969, 406). Le désordre se manifeste alors dans la symbolique de l'Arche qui nagigue au hasard, sans références et sans amers, et qui renvoie à une pluralité de connotations divergentes ou contradictoires liées à des registres émotifs antagoniques tels que l'angoisse ou l'extase. L'Arche, navigant sans archipel de référence, après le déluge, porte en même temps dans son sein le corbeau noir du désespoir et la colombe de la paix retrouvée. Dites-moi, chercheurs, éducateurs, tous Noés, si vous acceptez ou refusez cette indétermination ? Car "le singulier, l'extraordianire, le non-itératif, le non-prévu bouleversent l'esprit rationaliste. L'étonnement a une saveur qui ne convient pas à tous, et la tendance à s'en débarrasser caractérise une grande partie de la science. Vocation autre que celle du poète qui inlassablement s'émerveille (Communications, n° 18, 1972). Dans les mythes de fin du monde, tout se passe comme si le rationnel se démantelait pour céder la place, après la "grande conflagration" (cf. le prêtre égyptien du Timée, (Platon, 1969, 405)), à un magma de significations seulement accessibles à l'imaginaire. Hypothèse générale relative à la contradiction qui fonde le rapport psychologique du savant ou de l'éducateur au désordre des échecs : selon que vous serez enclin à développer, face au désordre représenté de la Personne ou de la Cité, des affects positifs ou négatifs, vous tendrez à valoriser ou à dévaloriser - comme maîtresse d'erreurs ou folle du logis - l'activité symbolique. Processus inverse de celui des commencements, l'"histolyse diluviale" (G. Durand, 1973, 358) est retour- rapide- à l'informe et au chaos : les représentants de l'Etat se noient avec leurs institutions, parce qu'ils siègent au Centre de la vallée fertile ; seuls, quelques bergers ignorants, assis près des sommets, auront la vie sauve. Et - Oh, joie ! ou misère ! - tout est à recommencer. Le Déluge n'est que mythe de la dissolution d'une figure centrale : l'identité politique d'un peuple. Retour à la boue. L'échec éducatif de la Scolastique vient, pour Diderot, de ce qu'elle se présente comme "édifice de fange" (Encyclopédie, art. Encyclopédie) : idéologie. Dans les deux cas, l'ordre immergé et l'ordre émergent sont dits "solides", par ensembles d'objets différenciés munis de relations stables. "L'élévation des eaux, réponse à la question comment. Comment les îles disparaissent ? Sous la crue. L'élévation de la chaleur, réponse à la question pourquoi". (M. Serres, 1975, 360) Le désordre diluvial, symbolisé par l'Arche, pose partout l'invincible ignorance d'un quelconque Noé : quelle que soit la qualité technologique des instruments de bord, si les eaux fangeuses dépassent de plusieurs coudées les sommets des plus hautes montagnes, la navigation ne pourra s'effectuer qu'au hasard : le Réel, en soi, est réfractaire à l'analyse lorsqu'il est du côté de l'Echec. Bâteau ivre sur une étendue homogène et sans limites, bâteau qui dit "je" parce qu'il n'a pas d'autres références que ses propres émotions. Les mouvements de l'Arche sont objectivement indéterminés et la subjectivité de son commandant de bord est impliquée dans l'objet physique qui flotte, sans repères, sur l'eau. Le désordre est dans le Réel mais ce Réel contient aussi le sujet qui l'observe. Depuis, sur la question du cataclysme, le modèle diluvial a cédé la place au modèle énergétique, lequel reste porteur des mêmes caractères symboliques. Du côté du signifiant, multiciplicité de signes utilisables : guerre, violence civile, pollution, épuisement des ressources, crise économique, totalitarisme politique, etc... Du côté du signifié, renvoi aux phantasmes personnels étendus de façon indéterminée entre la jubilation paranoïde et la détresse horrifiée. Avec la conviction d'une implication individuelle dans le processus de dégradation irréversible. Du côté des commencements, le désordre est le nom donné à l'ignorance provisoire (O. Costa de Beauregard, 1963, 48) impliquant un déterminisme caché à découvrir. Preuve : le hasard macroscopiquement observable obéit à des lois objectives tant au niveau diachronique des ordres d'apparition génétiques qu'à celui , synchronique, des régularités spatiales constatées. Le désordre manifeste est formalisable par classifications, ordinations, quantifications et, sur le postulat, d'homologie structurale il se donne comme le représentant-reflet d'un désordre latent provisoirement inaccessible à l'observation directe. Ici, point de subjectivité impliquée dans l'objet. Le Réel des commencements ne contient pas le sujet qui observe à partir d'un "point-de-vue" solidement fixé. Lucrèce voit le soleil et les flambeaux du monde originaire à partir de son site terrestre stabilisé. Moïse raconte la Genèse après qu'elle est terminée, disons le huitième jour. Et Faye évoque le Chaos général en se référant explicitement aux sciences classiques. Depuis, sur les Origines du Monde, les représentations s'appuient sur l'ordre micro-physique : "Un nuage de photons surgit, se dilate ... On évalue à 10 puissance 11° K la température initiale de cette nuée ardente qui va se refroidir. Les premières particules s'y matérialisent : électrons, neutrinos, neutrons, protons... Dans une formidable agitation thermique s'opèrent, par rencontres au hasard, les premières nucléo-synthèses ... La cosmogenèse commence dont en micro-genèse" (E. Morin, 1977, 46). Du Chaos-nuage au nuage de photons. Même description - disons structurale - avec, en plus, l'explication : la cosmogenèse est une thermogenèse.

(suite : )


Ecrit par Jeanfer, le Vendredi 17 Mars 2006, 17:07 dans la rubrique "".
Repondre a cet article