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4 - Les remarques précédentes nous permettent de saisir une différence importante entre, d'une part, la pratique éducative et, d'autre part, la pratique scientifique ayant pour objet d'étude la formation psycho-politique de l'homme : la première assume nécessairement l'ambiguïté du réel tandis que la seconde la refuse. Où il sera donc question de deux protocoles de recherche.

L'observateur scientifique choisit sa place et son "point-de-vue". Il peut épingler sur la table son objet d'étude, comme un général sa carte d'état-major, ou, comme lui, monter sur la colline pour mesurer l'espace et le temps d'une activité : classement nominal des unités, mise en ordre des événements, quantification des intervalles, évaluation des rapports. Il peut centrer son regard sur une séquence restreinte du réel ou bien embrasser l'ensemble du champ accessible à sa perception. Il peut aussi construire idéellement, sous forme d'image représentative ou par formalisation abstraite, ce qui ne se donne pas directement à ses sens : c'est le cas de la strate du réel concernant l'"être" des choses, la constitution intime des phénomènes, lesquels peuvent être somme toute décrits comme des activités invisibles qui sous-tendent les "faits" -résultats d'un "faire" - observables.
Deux grands types de mise en forme rationnelle du réel peuvent être ainsi inventoriés dans les sciences de l'homme, directement dépendants de la distance qui sépare l'observateur de l'observé ; cette distance étant elle-même dépendante de la natur de l'objet, mais aussi du choix épistémologique du sujet observateur. (retour :

1) la mise en forme identitaire : les éléments de départ sont mélangés, indistincts et confondus dans un ensemble de relations fluides : l'activité du chercheur consiste à identifier un objet significatif dans le magma en essayant de repérer les effets d'une permanence, d'une stabilité structurelle à travers les fluences et les entrelacs du réel ; cette activité d'identification suppose que soient présentes les conditions d'une autonomie locale au sein du magma ainsi que les conditions cognitives de la "reconnaissance" et de la distinction, par l'observateur, de la forme cachée.

2) la mise en forme unitaire : les éléments d'un ensemble réel se donnent au regard comme distincts et séparés les uns des autres : l'activité du chercheur consiste à relier ces éléments de façon à faire apparaître une cohérence significative ; cette activité d'unification du dispersé suppose que préexistent les conditions de la mise en relation au sein du chaos ainsi que la représentation, par l'observateur, de l'objet à construire.

Insistons sur les différences. Dans le premier des cas le chercheur regarde et reconnaît, dans le second cas, il regarde et agit. Dans les deux cas, il informe le réel, mais les significations impliquées dans les deux usages du terme information sont bien distinctes. Le premier type d'information met en branle une énergie d'échelle microscopique, disons celle des mots, alors que le deuxième mobilise une énergie à l'échelle ordinaire, celle des gestes et du déplacement d'objets. La mise en forme identitaire n'est que la reprise par le langage des phénomènes naturels de genèse et de conservation des formes : elle suppose une observation attentive et rapprochée de ce qui se donne comme distinct et autonome, identitaire au sens de "qui a une identité" et au sens de " qui reste identique à lui-même à travers les variations" : elle est traduction d'une "morphé" en "morphologie", d'une forme empirique en forme rationnelle. Alors que la mise en forme unitaire est production d'une "morphé" à partir d'une "morphologie" : elle est une réalisation technique, une construction, une "consolidation" spatiale et temporelle orientée par un programme.
Si, en effet, je considère les formes autonomes et distincts issue du magma fusionnel comme autant d'éléments indépendants les uns des autres dans un champ élargi, j'opère un changement de "point-de-vue" : du niveau microscopique de l'observation je passe au niveau macroscopique où l'action devient possible. Et plus la forme identitaire s'isole localement, plus elle donne prise à la manipulation au sein d'un ensemble dissocié, dès lors que toutes les formes individuelles subissent le même sort. L'autonomie locale a pour effet la dispersion globale : l'ordre d'un niveau devient donc désordre au niveau supérieur, de sorte qu'il est possible d'articuler logiquement quatre "moments" d'une genèse :
(schéma p.29)

Si le "point-de-vue" local, individuel, microscopique est celui qui, par exemple, guide l'observation du sujet humain individuel, nous verrons l'autonomie personnelle se constituer progressivement à partir d'une "nébuleuse" psychique initiale (adualisme). Le "point-de-vue" distancié, macroscopique, logiquement articulé à cette première séquence, ne peut être que celui de l'observation d'un collectif humain d'individus séparés et, par cela même, soumis à un procès d'unification politique.
Sous les mêmes points-de-vue, mais guidé par une idéologie différente, je peux soutenir la thèse de l'impossibilité relative ou absolue de voir le sujet humain accéder un jour à l'autonomie. La confusion et le mélange de départ sont non seulement considérés comme irréductibles, mais encore comme nécessaires au maintien et au développement permanent de la vie psychique, définie par la tension continue du sujet vers cette autonomie illusoire, jamais atteinte. L'Etre psychique se nourrrit de désordre fusionnel, qu'il inverse ponctuellement et provisoirement en information : plongé dans le nuage intersubjectif, il exerce seulement une capacité croissante de discrimination entre le sens et le bruit qui traversent, emmêlés, son organisme. Il n'atteint jamais la forme d'un "état" (adulte) parce qu'il est activité pure de tri aux frontières de l'ordre et du désordre. Si autonomie il y a, pour cette activité de la personne, elle ne peut être située que dans les marges critiques de la forme, au lieu où se décident les interruptions signifiantes dans le flux d'un Nous universel qui pense : autonomie d'un lieu décentré, d'un site mobile, d'un processus.
` Dans cette perspective, le sujet de l'identité n'est plus JE, il est NOUS : le niveau global de l'intersubjectivité se donne d'emblée, sous les espèces du groupe psycho-social proche qui enveloppe dès sa naissance, sinon dès sa conception, l'individu humain. A l'inverse de la dynamique précédente, tout se passe comme si l'organisme tendait à s'immerger de plus en plus profondément dans le réseau des communications intersubjectives, à la recherche d'une complexité et d'une variété toujours plus grandes de stimulations, conditions de l'élargissement des registres de réponses. Le risque étant ici non pas l'isolement inhérent à une autonomie trop poussée, mais au contraire la dépendance totale au groupe dans lequel l'individu a surgi par les hasards de la naissance.
Si nous voulons ici dessiner les contours d'une forme identitaire, c'est par décision de clôture autour d'un ensemble d'éléments déjà là que nous le ferons. Groupe familial proche, groupe familial élargi, "milieu "socio-culturel, groupe professionnel, groupe d'appartenance idéologique, que sais-je ? De toutes façons, nous réalisons une découpe dans le vaste réseau enchevêtré des relations humaines, et nous donnons un nom à cette découpe en fonction de critères qui la définissent (au sens strict de "qui lui fixent des limites") : consanguinité, nom, activité commune, langue, etc. Pour obtenir une forme qui n'est pas "donnée", qui ne se construit pas elle-même par ontogenèse, il est nécessaire de tracer une ligne définissante autour d'un ensemble homogène quant à ... des caractéristiques dont on sait qu'elles sont et seront constamment parasitées par d'autres, et ceci par postulat de départ. Nécessairement parasitées : le groupe clos hétéronome "mère-enfant", dont les éléments sont "attachés" l'un à l'autre par la symbiose affective, ne peut subsister que grâce au parasitage linguistique, entre autres ; le groupe d'enseignants en formation, tendu vers une communication fusionnelle, ne peut pas communiquer si, paradoxalement, les canaux ne sont pas "bruités" par des références extérieures au groupe. Les exemples abondent, et la répétition des expériences fait loi : soit deux stations et un canal et un échange de messages : si la relation réussit, optimale, parfaite, elle s'annule comme relation ; pour qu'il y ait communication, il faut un effort pour chasser le bruit. Toujours un tiers à exclure de mon couple qui meurt si je réussis.

Dans la problématique de l'autonomie possible, nous avons affaire, schématiquement à une structure à deux points : le Moi n'existe que par opposition à l'Autre, refoulé, comme dit Wallon : figure sur fond nécessaire sans l'insistance duquel la figure n'existe pas.
Dans la problématique de l'hétéronomie nécessaire, toujours schématiquement, nous passons à une structure à trois points : le troisième point, c'est le parasite chassé mais heureusement toujours là pour empêcher la fusion des deux autres, enfermés dans leur champ clos.

L'autonomie individuelle favorise l'unité collective imposée exogène par rapport à la forme autonome : mise en forme qui vient d'ailleurs, d'un lieu de pouvoir central, par exemple, qui étend son influence sur une multitude disloquée en plaquant sur elle la griffe de la hiérarchie. Cohérence et complémentarité logique des deux thèmes, l'autonomie et l'unité sont des concepts et des pratiques fondés sur l'horreur du désordre, du bruit, du parasite. Horreur de l'hétéronomie et de la pluralité : car celle-ci, nous le verrons, se situe en co-occurence avec celle-là : il suffit, pour la connaître ou pour la vivre, d'élargir son point-de-vue jusqu'à la globalité du groupe social où, non seulement chaque élément est parasite pour deux autres, voisin sur le réseau, mais où encore, à l'échelle macroscopique, chaque élément est potentiellement en communication ou en relation de parasitage avec l'ensemble de tous les autres. D'où l'expression idéologique d'une autre politique qui n'a plus à rassembler des individus disjoints, mais qui, au contraire, doit repérer et réguler les rapports nécessaires entre le bruit et l'information au sein d'un système ouvert de communications intersubjectives "déjà là" : politique de la transparence visant à exclure toutes les opacités heureusement rebelles à tous les efforts d'exclusion, etc. Même démonstration : la loi locale s'applique au global, mais en multipliant par un nombre infini les relations d'interférence.
On l'aura compris : le troisième terme, c'est la relation elle-même, facteur de l'hétéronomie micorscopique et de la pluralité macroscopique, et il est l'enjeu d'un conflit idéologique que l'on retrouve à tous les niveaux de la réalité sociale et culturelle : opposition théorique entre Wallon et Freud au niveau intrapersonnel ; entre la conception d'un appareil d'Etat centralisé et celle d'un Lourau, entre autres, au niveau organisationnel et politique ; entre l'approche uni-dimensionnelle et l'approche pluridimensionnelle des faits et des pratiques sociales dans les Sciences de l'homme ; entre l'éducation traditionnelle et l'éducation libertaire ; et ainsi de suite.

Ce conflit est, si je puis dire, canonique, et il traverse d'un trait, sous la forme d'un antagonisme irréductible, toutes les sciences et toutes les pratiques de l'Education. Je voudrais démontrer qu'il se constitue sur le colmatage des difficultés de l'articulation du local et du global, de l'individuel et du collectif, du proximal et du distal dans la perspective "libertaire". Présenter, à gauche, l'hétéronomie individuelle comme accouplée harmonieusement à la pluralité sociale sur le modèle présenté, à droite, par l'articulation logique de l'autonomie et de l'unité d'un collectif humain, revient, à son avis, à poser le voile sur une contradiction interne au premier couple. Tirer à boulets rouges sur l'adversaire permet de faire l'économie d'une auto-critique de la cristallisation théorique que l'on effectue sur une saisie incomplète de la réalité.

Ma recherche vise le dévoilement de cette contradiction, d'abord par la mise en lumière des raisons du masquage : je fais l'hypothèse que l'une de ces raisons réside dans l'importation pure et simple du modèle spatial dans la problématique temporelle sous l'effet de l'idéologie éducative dominante.
Pourquoi cette domination de la représentation spatiale dans la genèse de ce conflit idéologique qui embrasse pourtant, d'un "côté", une problématique qui privilégie, dans son discours scientifique, la notion de temps (J. Ardoino, 1974, a) ? Comment peut-on rompre cette domination en posant la temporalité comme référentiel pour l'analyse des rapports complets dans le réseau formé par les quatre concepts de l'autonomie, de l'hétéronomie, de l'unité et de la pluralité que nous voulons conserver ? Comment peut-on construire un échangeur de temps à partir d'un carrefour d'espaces ? Comment procéder pour que les sciences de l'Education assument l'ambiguïté du réel au lieu de la réduire à une simple bipolarité de termes antagonistes ?

La possibilité d'une réponse à ces questions se trouve peut-être dans la prise en considération de ce qu'est le travail du praticien de l'éducation.
L'éducateur-acteur ne choisit pas sa place. Impliqué psychologiquement dans la globalité d'une situation à la fois fusionnelle et dissociée, il ne peut, sans risque d'aliénation, poser préférentiellement son regard sur une seule composante. Formateur de la personnalité, il doit prendre en compte et l'éparpillement des comportements humains élémentaires, discontinus et sporadiques, non-orientés vers des objectifs (H. Wallon, 1959) et l'entremêlement confus des états de bien-être et de malaise liés aux fluctuations des besoins (H. Wallon, 1959). Intervenant dans les groupes sociaux, il reçoit en même temps des informations et sur les comportements dispersés des individus poursuivant des buts propres, et sur les conduites collectives au sein desquelles se nouent des relations affectives fluides et insaisissables.
Il suit de là que les formes éduquées, individuelles et collectives, sont porteuses de la même ambiguïté : autonomie et unité se manifestant en elles comme éléments intégrés dans un même système multidimensionnel, dont il faut dès lors considérer la complexité. Cette prise en considération n'est plus l'affaire du seul regard : toute la sensibilité et tous les modes de l'appréhension perceptive interviennent pour "comprendre" (prendre ensemble) la variété des phénomènes. La spatialisation de ces derniers, afferents à l'utilisation de la vision, cède la place à leur temporalisation, du fait de la dominance effective de la communication orale et de la réception auditive, lesquelles, plus que tout autre, impliquent les acteurs dans le même réseau dont de nombreux linéaments se développent hors de toute décision consciente.

La tâche d'une nouvelle approche scientifique dont l'objet d'étude ne serait plus "regardé" mais compris dans toutes ses dimensions, nouvelle approche dont la méthodologie serait isomorphe à celle de l'action, consisterait à élaborer d'abord une nouvelle axiomatique : une axiomatique de l'interférence temporelle qui serait, en précision, celle de l'activité de la personne, non plus en quête d'unicité et/ou d'unité, mais tendue vers la conquête de moyens susceptibles de développer-conserver sa propre activité de personne.
Je m'explique : au lieu de regarder comment et pourquoi les différents désordres des commencements se constituent en formes spatiales - sous influence éducative au sens large - je m'intéresse à l'activité de constitution de ces formes en tant que cette activité est un processus de résistance à la dégradation entropique généralisée. L'autonomie, l'hétéronomie, l'unité, la pluralité morphologiques ne sont plus, dans cette perspective, des buts à atteindre ou à maintenir elles sont des instruments utilisés par la personne pour redresser la flèche pointée vers l'entropie maximum, pour freiner la marche vers la mort. Les quatre catégories qui sont, dans l'espace, opposées deux à deux, nous apparaissent ainsi comme des moyens variés d'action néguentropique susceptibles de se combiner avec des pondérations différentes selon les situations envisagées. Sous-tendues par des rythmes temporels originaux, les structures spatiales qu'elles montrent ne sont que les manifestations "visibles" des dynamiques invisibles menant une lutte sourde et efficace contre la temporalité irréversible.
Ecrit par Jeanfer, le Vendredi 17 Mars 2006, 17:12 dans la rubrique "".
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