Hier au soir, j'ai surpris Pantoufle en grande discussion avec Marcel.
Que se disaient-ils ? J'étais trop loin pour l'entendre. Marcel opinait aux propos du Pas-chat en bruissant de ses feuilles dans le vent.
Pardon, j'ai oublié de vous présenter Marcel. C'est un érable qui a eu l'idée de pousser dans une jardinière sur mon balcon toulousain. L'ayant laissé quelque peu grandir là, je l'ai un jour transplanté dans mon jardin campagnard où il est devenu bel et fort. Il ne dépasse cependant pas en force et vigueur Hiram, le robinier faux acacia qui le jouxte et qui quoique plus jeune lui fait un peu d'ombre. Même dans le monde des végétaux, il y en a qui veulent dominer les autres.
Marcel doit son nom à un gars avec qui j'ai travaillé un temps à Montréal, drôle d'individu qui semblait bosser pour son propre compte en faisant croire à son patron toulousain qu'il œuvrait pour le bien de son entreprise... y en a-t-il des gens pas très honnêtes de par ce vaste monde. Toujours est-il que mon érable, symbolisant un tantinet la Belle Province, s'est trouvé baptisé Marcel.
Le Pas-chat m'a rejoint sur le banc où je prenais le frais. Face à moi, un peu au dessus tout de même, la lune, comme un point sur un I, aurait dit Musset, couronnait un saule de sa ronde luminescence. Cela me fit penser que nous avions une connaissance relativement bonne de notre univers, de l'infiniment grand, grâce à Galilée et ses successeurs, jusqu'à l'infiniment petit que Janssen nous a permis de commencer à découvrir. Ceux que j'appelle "les quantiques" nous ont fait avancer avec les théories des quanta et de la relativité encore plus loin dans cette connaissance. A tel point que le péquin moyen se contente d'une faible part de ces sciences pour vivre… et que le Pas-chat, comme ses semblables n'a pas besoin de tout cela pour être heureux !
J'en était là de ma réflexion sur la vanité de notre recherche de connaissance lorsque me revint en tête la parole delphique : "Connais-toi toi même et tu connaîtras l'Univers et les dieux".
Et là , un petit éclair de lucidité m'est venu. Comment avions-nous pu oublier que la connaissance la plus importante était celle de l'homme !
Pas de la machine-homme, ce tas de muscle et de sang que nous voyons paraître. Non, l'homme-esprit, cet inconnu qui essaie d'être.
Certes, l'invention de la psychanalyse et des sciences connexes ne date que du tout début du XXe et le bon docteur Esquirol, précurseur de la médecine des maladies mentales, n'a œuvré qu'au début du XIXe, mais bon sang ! Pourquoi n'avoir pas commencé par là ?
J'en étais là de ma pensée lorsqu'un léger miaulement se fit entendre. Le Pas-chat me fixait l'air de me dire : "Allez, mon vieux, c'est pas le moment de se poser ce genre de problème… viens, on va se coucher".
C'est ce que nous fîmes, et pendant que le sommeil venait, bercé par le doux ronron du Pas-chat mollement étalé contre moi, je me dis : "Tout de même, pourquoi ?"